26 Mai 2020

L’épidémie du coronavirus à travers les cultures

Management interculturel

En quoi la culture influence-t-elle nos réactions face à la pandémie ? Toutes les cultures sont-elles égales face au coronavirus ?

L’épidémie du coronavirus à travers les cultures

Même s'il convient de rappeler que la culture n'est qu'un des éléments explicatifs, son impact sur la gestion de l’épidémie est loin d’être neutre.

Bien sûr il y a d’autres facteurs comme :

  • L'expérience d'épidémie dans un passé récent : la Corée garde un souvenir douloureux du SRAS en 2015 et a pris très rapidement des mesures strictes pour endiguer l’épidémie.
  • L'organisation du système de santé : le Chili est très en avance dans le traitement des maladies respiratoires.
  • La situation géographique : à l'extrême ouest de l'Europe, les Portugais et les Irlandais ont vu arriver l'épidémie après l’Italie, l’Espagne, la France, et ont pu anticiper.
  • La démographie : les populations âgées sont plus sensibles que les populations jeunes comme en Afrique.
  • La densité de la population : le virus se propage plus vite dans les villes.
  • Le système politique : en démocratie, on peut difficilement imposer des mesures aussi draconiennes que dans les régimes autoritaires. Le système décentralisé des États-Unis et les messages contradictoires de son Président ne permettent pas d'apporter une réponse unifiée. La Californie s'est confinée dès le 19 mars alors que la Floride s'est fermée 2 semaines plus tard.
  • La situation économique et sociale.

Similitudes et différences dans le traitement de la pandémie

On constate souvent une première réaction de « déni » dans beaucoup de pays, puis une prise de conscience progressive du risque, et enfin la mise en place de mesures pour inciter la population à respecter des distances, à se laver les mains, à rester chez soi, à se protéger et à protéger les autres.

Mais comment se laver les mains avec des coupures d’eau comme au Cameroun, au Congo, au Gabon, … ? Le confinement y est difficile car il faut sortir pour chercher de quoi vivre : vaut-il mieux mourir de faim ou du coronavirus ? « Confiner, c’est mourir à petit feu », dit-on en Inde où règne une grande promiscuité. Au Mexique, la population la plus défavorisée ne se confine pas pour des raisons économiques. Aux États-Unis, bien que le pays soit plus riche, l’idée que le travail passe avant la santé est également largement répandue.

Les différences dans la gestion de l’épidémie sont surtout notables dans la manière dont les mesures sont prises, communiquées, imposées et respectées. Elles sont plus ou moins précoces, strictes, pragmatiques. La communication, plus ou moins transparente, a un impact sur la confiance de la population envers les pouvoirs publics. Les contrôles policiers sont plus ou moins sévères en fonction des régimes et de l’autodiscipline de la population.

L’impact de la culture sur les comportements

En quoi la culture influence-t-elle nos réactions face à la pandémie ? Donnons-nous priorité à l'individu ou au groupe ? Qui est responsable l’individu ou l’État ? Le « traçage » est-il une atteinte à la liberté individuelle ou une mesure de protection de la santé publique ? En continuant les rassemblements, prend-on le risque de répandre l'épidémie ou répond-on à un besoin fondamental de se regrouper et de se soutenir dans les épreuves ?

La culture joue en effet un rôle primordial. Si l'on regarde l'Europe où il y a une certaine homogénéité dans les systèmes politiques et l’absence d'expérience récente d'épidémie, on constate de réelles différences, notamment entre le Nord, le Sud et le centre. La Belgique illustre bien le contraste entre le Nord plus pragmatique, plus sensible à l’homo economicus, et le Sud plus empathique, plus social. Quant à l'Europe Centrale, elle est plus réaliste et immédiatement réactive.

Essayons d'identifier les dimensions culturelles et valeurs en jeu dans les comportements des populations face à l’épidémie.

La distance interpersonnelle

Pourquoi demande-t-on de respecter une distance d'1 mètre en France, 1,50 mètre en Allemagne et aux Pays-Bas, 2 mètres en Europe Centrale ? Il y a un rapport différent à la distance interpersonnelle selon les pays. Les cultures latines ont davantage besoin de contacts physiques. Les Hongrois recommandent la distanciation physique et non sociale pour continuer les activités communes gérables à distance.

Le groupe comme unité de vie sociale

Plusieurs générations vivent souvent ensemble en Europe du Sud, alors qu'elles sont plus indépendantes dans les pays du nord de l’Europe. En Allemagne, les enfants quittent le domicile parental en moyenne à 23,7 ans contre 29,5 ans en Espagne et 30,1 ans en Italie. Lorsque plusieurs générations vivent sous le même toit comme en Italie, les personnes âgées qui s’occupent des petits enfants sont plus exposées. En Europe Centrale, on protège ses proches en les mettant à distance et en lieu sûr.

En Indonésie, rester chez soi et vivre en dehors du groupe, c’est empêcher l’expression des valeurs de base de la société qui permettent à chacun de se sentir en sécurité.

La distance hiérarchique

En Italie, la distance hiérarchique se manifeste par une forte adhésion de la population et une grande soumission aux forces de l’ordre...sauf dans les églises ! L’Église est au-dessus du pouvoir politique.

L'Europe Centrale se caractérise par une organisation coordonnée des relations hiérarchiques entre experts, États, forces de l'ordre, groupes et individus où chacun est à sa place et remplit son rôle.

Le caractère hiérarchique de la société indienne explique en partie la grande licence accordée ou auto-octroyée aux policiers dans le traitement des personnes contrevenant au confinement.

En revanche dans les sociétés où les distances hiérarchiques sont plus faibles, les mesures sont moins contraignantes parce que l’autodiscipline est de rigueur.

Le rapport à la règle

Pourquoi les mesures sont-elles plus strictes en Italie, en Espagne, en France que dans le nord de l'Europe ? C’est sans doute lié au rapport à la règle : il suffit en général d'émettre des recommandations en Allemagne pour qu’elles soient suivies. Les pays nordiques, dont la Suède en particulier, sont apparemment plus modérés encore : ils semblent n'avoir émis que très peu de mesures restrictives.

Alors que dans les pays latins, sans la peur du gendarme et de l'amende, c'est plus compliqué. Dénoncer son voisin qui ne respecte pas le confinement, c’est du sens civique pour les uns, de la délation pour les autres.

Peut-on alors parler d’une exception portugaise ? Le confinement n’a pas été assorti de sanctions ni de certificat de voyage. Pour le Premier ministre, "les Portugais sont tellement disciplinés que la répression est inutile".

On retrouve la même distinction entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine, avec une exception : le Chili où l’application de la règle est plus stricte.

La responsabilité individuelle aux États-Unis inclue le respect des règles ; c’est un devoir civique de prévenir l’autorité concernée si la règle n’est pas respectée car c’est une entrave à la vie en collectivité et à la liberté de chacun.

La conception de la liberté

Ce rapport à la règle nous amène à aborder la conception de la liberté, très différente d’une culture à l’autre.

« La liberté des uns s'arrête où commence celle des autres »

illustre bien la logique de liberté dans le respect de la règle, propre aux Britanniques qui sont libres de s’autogérer pendant la période de confinement. Aux États-Unis, on met en avant la valeur travail et la liberté d’être ou ne pas être confiné.

En Finlande, les valeurs d’indépendance et de liberté sont fondamentales tout comme la forêt et les activités en plein air sont nécessaires. En Hongrie, la volonté de sauvegarder la liberté financière du pays s’appuie sur la solidarité nationale et la confiance dans le gouvernement.

En Chine, la sécurité collective est plus importante que la liberté individuelle. A Wuhan, ville épicentre du Covid 19, tous les outils technologiques de surveillance, de suivi, de traçage, de quadrillage ont été déployés, au détriment des libertés individuelles pour le bien de la communauté.

Pour les Coréens qui utilisent des moyens identiques, le respect des consignes permet de gagner des libertés. On retrouve ici l’influence de Confucius : la liberté se gagne avec l’âge et le respect des règles.

Religion et spiritualité

Dans certains pays, la crise met en lumière la perception irrationnelle des choses. En Inde, on encourage les personnes potentiellement infectées à se traiter en ingérant de l’urine de vache et en s’appliquant de la bouse sur le corps.

Au Mexique, les personnels soignants sont suspectés de propager le virus, et l’usage d’amulettes pour invoquer la protection de Dieu se multiplie. Certains Camerounais ont plus confiance en la médecine traditionnelle et remettent en cause l’existence du virus.

L’Église n'a jamais été aussi présente dans le quotidien des Hongrois : les messes deviennent des lieux de créativité, les fidèles se rassemblent en restant dans leurs voitures, des  prêtres organisent des débats théologiques sur les réseaux sociaux.

Le rapport à la mort

Cette pandémie réintroduit la place de la mort dans nos cultures. Au Mexique, la relation au destin et à la mort est empreinte de fatalisme : on subit les événements et ça ne sert à rien de lutter. Au Cameroun et dans d’autres pays d’Afrique, la mort est une rupture et il faut désigner un coupable, ce qui est très bien décrit par Éric de Rosny dans Les yeux de ma chèvre. En Indonésie, des malades s’échappent des hôpitaux lors de leur traitement pour éviter une mort solitaire et sans prière de l’entourage.

« Dans le combat pour la vie, on a oublié l’accompagnement de la mort »,

rappelle Damien Le Guay.

 

Et pour terminer sur une touche d’humour dont les Belges sont friands, voilà le manneken-pis bien protégé !

L'après Covid-19

Pour conclure, on peut se demander comment sera « l’après Covid-19 ». Le rapport à l'autre va-t- se transformer ?

Les signes de reconnaissance ont changé dans certaines cultures, les signes de paix sont devenus des signes de défiance. La remise en cause de gestes symboliques forts peut provoquer une transformation anthropologique ; les rapports interculturels vont sans doute être modifiés, mais dans quel sens : nivellement, rapprochement, méfiance, clivage, … ?

Nous utilisons des cookies à des fins de statistiques et personnalisation des contenus.

Akteos a également publié sa politique de confidentialité sur la gestion des données à caractère personnel.

En savoir plus

J'ACCEPTE