Hiérarchie et castes en Inde
Cette étude de cas illustre les problèmes récurrents rencontrés par de nombreuses entreprises étrangères en Inde.
Décision centrale vs dynamiques locales en Inde
Cette étude de cas vise à illustrer les problèmes récurrents rencontrés par de nombreuses entreprises étrangères en Inde s’agissant des ajustements de leurs stratégies économiques aux réalités de terrain. Bien que s’insérant dans un contexte rural, cette étude de cas illustre les fréquents décalages constatés entre management centralisé, guidé par les impératifs d’optimisation et d’efficacité, et perspectives endogènes ancrées, elles, dans un réseau de solidarités et de relations sociales souvent premières et souterraines. De là, elle nous permettra d’entrevoir des pistes d’intégration des logiques culturelles locales aux grandes politiques managériales.
Contexte
Au début des années 1970, le gouvernement d’Indira Gandhi lance un ambitieux programme d’indépendance alimentaire. Cette politique de transformation des campagnes vise deux objectifs :
- Introduire les principes et techniques de la révolution verte sur les moyennes et grandes exploitations agricoles (irrigation, mécanisation, emploi de variétés à haut rendement, d’intrants et de pesticides).
- Aider financièrement les petits propriétaires, majoritairement issus des basses castes, afin de les pourvoir d’animaux de trait et d’araires pour mettre en culture les champs que la réforme foncière leur avait octroyés après l’indépendance.
Pour les petits propriétaires, l’objectif est de favoriser l’émancipation des plus fragiles en réduisant leur dépendance traditionnelle à l’égard des castes dominantes1 dans les villages où ses dernières contrôlent l’accès aux ressources et aux produits de la terre. En effet, les droits sur le sol et le système des castes découragent l’émergence des groupes subalternes par la reproduction des élites locales, lesquelles trouvent leur intérêt dans l’exploitation économique des premiers (notamment en leur prêtant de l’argent). Les basses castes, pour leur part, empruntent auprès de leurs maîtres l’argent nécessaire pour vivre et cultiver leurs terres tout en exerçant pour leurs soins toutes tâches utiles, dont les activités socialement et rituellement infâmantes (ex : vidangeurs, balayeurs, prêtres funéraires, corroyeurs…)2.
A la faveur de ce programme étatique volontariste, de nombreux paysans deviennent donc des agriculteurs en capacité de vivre de leurs propres cultures et peuvent s’affranchir financièrement des castes dominantes. En théorie, du moins…
Au bout de quelques années, lorsque les agents gouvernementaux reviennent sur le terrain et alors que les débuts de ce grand plan de développement rural semblaient prometteurs, les résultats s’avèrent mitigés. Contre toute attente, un grand nombre de ces petits paysans ont cédé leurs animaux et leurs araires, de leur plein gré semble-t-il, pour retrouver la tutelle de leurs anciens "maîtres". Par conséquent, ils ont aussi perdu le pouvoir de cultiver leurs champs sauf à emprunter leurs outils de production à leurs maîtres, lorsque leurs terres n’ont pas été gagées auprès d’usuriers ou vendues.
Questions
Quels mécanismes ont œuvré à contrer cette initiative gouvernementale ? En particulier, quel rôle l’institution de la caste a-t-elle pu jouer ?
A propos des populations rurales, quoi penser de cet « échec » ?
Imperméabilité au changement ?
Manque de « bon sens », de rationalité économique ?
Quels enseignements tirer d’une telle expérience pour mieux prendre en compte les dynamiques sociales et les logiques contextuelles à l’œuvre dans les processus de changements et acculturer les politiques globales aux perspectives endogènes ?
1 Pour qu’une caste soit dominante, elle doit posséder une part substantielle de la terre arable disponible localement, être numériquement importante et occuper une position assez élevée dans la hiérarchie locale.
2 En Inde, les notions d’impuretés permanente et passagère sont liées à l’irruption de certaines matières organiques dans le quotidien. Sont considérés comme physiquement et surtout symboliquement polluants les contacts avec tous les fluides corporels et les corps en décomposition. De là, la spécialisation professionnelle (au principe du système des castes) dans des activités ayant pour caractéristique de mettre le travailleur en présence répétée de sources de souillure charge la condition de la personne concernée d’un fort stigmate social. Du fait du caractère traditionnel de la profession, l’impureté massive contractée dans l’exercice des tâches polluantes est considérée comme intrinsèque aux castes qui les exercent.