Femme d'expatrié en Inde
Dans son roman Indian Therapy, Julienne Tissot raconte le blues d'une femme d'expatrié en Inde. Que se passe-t-il après l’euphorie des débuts et comment s'en sort-elle ?
Indian therapy ou le blues d'une femme d'expatrié
Partir en expatriation en famille signifie souvent que l’un des conjoints abandonne sa vie professionnelle (au moins pour un temps) pour suivre l’autre…
C’est le cas de Sophie Perrotier, l’héroïne de mon roman Indian therapy (ed. Tensing). Pétillante responsable du recrutement, maman de deux jeunes enfants, elle quitte sa vie parisienne et ses amis pour suivre son mari muté à Delhi, expatrié en Inde. Contente sur le principe et portée par l’enthousiasme de son mari, elle part « le cœur battant de toutes les promesses d’une nouvelle vie ».
Expatrié en Inde : la courbe du changement !
Une fois sur place et passée l’euphorie des débuts, Sophie déchante et déprime. Elle n’avait pas imaginé que ce serait si difficile de vivre loin, dans un pays où tant de choses la déroutent. Sentant qu’elle sombre dans une sorte de dépression, elle cherche à consulter un psychologue francophone, mais il n’y en a pas un seul dans la capitale indienne. Alors Sophie se crée un psy sur mesure, le docteur Kumar, à qui elle confie au fil des 83 courtes consultations du roman les aléas de sa vie d’expatriée, comme page 140 où elle évoque les déjeuners de filles…
Extrait du roman Indian Therapy
Consultation 38
Docteur Kumar, vous savez ce que c’est un déj de filles ? Oui forcément, votre mère a dû prendre le thé en mangeant des samosas avec ses copines du Gymkhana pendant des heures. À Paris, il m’arrivait de faire des déjs de filles avec des collègues, mais je crois que je préférais les « face to face » comme on disait, le déj avec une seule copine.
À l’étranger, le déjeuner de filles est une institution. Je vous parle de déjeuner, mais il existe aussi la version petit déjeuner, café, thé et dîner. Ambiance petits gâteaux ou tapas et vino. A chaque heure sa convivialité. Le rendez-vous entre filles est un moment incontournable et récurrent de la vie de la femme d’expat. C’est fou ce qu’on peut grossir dans ce pays où tant de gens crèvent de faim. Après, on est obligé de faire du Pilate. Les hommes sont au bureau, et comme le risque de dépression est très élevé si on reste seule chez soi sans occupation, on se voit entre filles. Le coach du séminaire « S’expatrier en Inde » où je suis allée avec Stéphane avant d’arriver ici, l’avait dit :
- Le conjoint accompagnant ne doit pas rester seul. Il doit sortir, échanger, parler, ne pas s’isoler. L’expatriation de la famille est réussie si l’expatriation de l’accompagnant est réussie.
Et le plus simple, c’est d’échanger avec ses compatriotes. On a tous connu le minitel, regardé Capitaine Flam et le Top 50, étudié Madame Bovary, alors la communication fonctionne vite. On parle facilement, on parle pour parler, surtout au début quand on connaît à peine ses futures (peut-être) meilleures copines, ça nous réchauffe le cœur d’être ensemble, on se confie rapidement et l’on échange sur tout et rien. Règle d’or de la femme d’expat : copiner avec tout le monde, faire le tri ensuite.
On se retrouve à souffler ses bougies d’anniversaire avec de parfaites inconnues à qui on raconte des choses intimes tout de suite, comme si jadis on couchait à chaque fois dès le premier soir… Parfois, une larme coule sur les joues de la nouvelle, sur ma joue. Les autres veillent, serrent la main, acquiescent avec un air entendu et disent :
- C’est normal, nous sommes toutes passées par là…
On est comme des copains de régiment qui n’oublieront jamais tout ce qu’ils ont partagé. Nous fraternisons vite, nous les mères en embuscade entre Jor Bagh, Defence Colony et Chattarpur. On parle de nos maris, de nos enfants, de notre personnel de maison, des nouveaux restaurants, des nouvelles boutiques, on se fait plaisir aussi avec quelques petits ragots. On a toutes l’impression de ne pas être dupes du petit jeu qui se joue, on a chacune la conviction qu’on est une femme d’expat à part, on a besoin les unes des autres.
Docteur Kumar, l’être humain a dû mal à être seul trop longtemps. La phrase de Blaise Pascal. « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. » Grâce à vous, j’apprends à me retrouver seule, grâce à nos rendez-vous, ma solitude prend du sens, je peux demeurer en repos dans une chambre, avec vous.