18 Février 2016

Du Brésil au Pérou en passant par le Japon

Pays et régions

Loin du "bal des clichés à la dent dure", Pierre Fayard nous livre sa vision aiguisée de l'interculturel en s'appuyant sur son expérience au Brésil, au Pérou et au Japon.

Du Brésil au Pérou en passant par le Japon

Du Brésil au Pérou en passant par le Japon, Pierre Fayard nous livre sa vision aiguisée de l'interculturel, loin du "bal des clichés à la dent dure"

Né à Dakar, Pierre FAYARD est Professeur des universités à l’Institut d’Administration des Entreprises à l’Université de Poitiers. Il s’est spécialisé dans l’étude de l’influence de la culture dans la conception et la conduite de la stratégie, avec un souci permanent de vulgarisation. Il est à l’origine de la création du premier pôle universitaire en Intelligence Économique à Poitiers. Après avoir conduit une recherche sur le Knowledge Management au Japon, il s’est expatrié huit ans en Amérique du Sud en tant que Directeur Général du Centre Franco-Brésilien de Documentation Scientifique et Technique à Sao Paulo, puis Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle à l’Ambassade de France au Pérou. Aïkidoka 4e dan, il est l'auteur de livres de stratégie, de romans et de nouvelles.

Pierre Fayard a accepté de nous répondre et de nous livrer le regard qu’il porte sur les cultures qu'il a eu l'opportunité de connaitre : du Brésil au Pérou en passant par le Japon.

Vous avez vécu au Sénégal, au Brésil, au Pérou, au Japon…, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans chacun de ces pays ?

Difficile de résumer cela en quelques mots. Si vous me le permettez, j’aborderai votre question en vrac. Ce que je peux dire aujourd’hui serait peut être différent demain. Une chose est sûre, s’exposer à d’autres cultures à partir de l’île de notre rationalité entraîne la certitude de passer à côté d’autres vécus et d'autres visions de la réalité. Dans cet exercice, il ne faut craindre ni le paradoxe ni ce qui nous semble, à nous, contradictoire.

Au Japon

La seule certitude que l'on a lorsque l'on pose les pieds pour la première fois dans cet archipel d'Extrême Orient, c’est que l’on ne va rien comprendre, au mieux partiellement, ou alors de travers. De ce fait, il est recommandé de relativiser, voire de déconnecter, raison et a priori pour se mettre à l’école des sens et de l'intuition. Attentif à l'instant, on agit, ou plus exactement on réagit sans trop savoir car l’analyse, c'est pour plus tard. L’essentiel est de naviguer en évitant les fausses notes, sans pour autant s’abstenir de contribuer, à sa manière, à l’orchestre. Rien de mieux que le flair sans s’encombrer à expliquer car le raisonnement est trop lent. C’est assez subtil et, au final, plutôt agréables que ces ballets silencieux à la fois exigeants et cotonneux tranchés à coups de haï conclusifs et soudains à la sémantique variable en fonction du contexte : oui, j’ai compris, c’est comme si c’était fait, je voudrais cela, bonjour, je vous en prie, bien sûr… haï manifeste la connexion, un constat de flux existant, la continuité, l’adhésion. Il n'est guère possible de le traduire par une expression unique bien que ce soit un passeport clef dans la vie quotidienne pour un étranger au Japon, haï !

Au Brésil

À l’égard de ce géant austral, le bal des clichés à la dent dure. On croit tout y comprendre facilement, mais où jamais on ne vous dira que vous êtes dans l’erreur. Il revient à chacun de deviner car on y a horreur du conflit. Un poète diplomate brésilien soutenait que ce pays n'est pas fait pour les débutants. Par exemple, la version brésilienne de ce que l'on nomme le miracle permanent à Cuba, où quand rien n’est possible on réalise le possible, a pour nom le jeitinho brasileiro. Il consiste à se rendre justice contre l’absurdité des lois et des normes entendues comme faites par d’autres et pour d’autres que soi. Il en résulte un composé de Système D tropical fortement bricolé, fondé sur l’émotion, et mâtiné, au besoin, de corruption. Il n’a pas vocation à transformer le monde pour le rendre plus juste ou plus fonctionnel, mais seulement à ses adeptes d’être plus égal que les autres selon les termes de l'anthropologue carioca Livia Barbosa. Va comprendre. Va comprendre Charles !

Une autre caractéristique de cette société est son optimisme. Il est si radical qu’il permet de se sortir des pires situations là où un esprit chagrin, rationnel et occidental, s’abimerait dans un pessimisme désespéré et sans issue. Dans ce pays, on croit mordicus qu’en dépit de tous les facteurs contraires, soient-ils objectifs ou non, à la fin on trouve toujours la solution (no final da certo), fut-elle borderline ou bien au-delà. Et si on ne la trouve pas ? C’est parce que l’on n’est pas parvenu à la fin, c'est tout simple (en apparence) !

Au Pérou

C’est exactement le contraire. Tout paraît simple mais se complique au fur et à mesure que l’on progresse même si on vous affirme que la conclusion est à portée de main.

C’est un peu comme en montagne, il y a toujours un nouveau raidillon à gravir pour s'ouvrir l’horizon, mais cela se succède sans fin et jusqu’à l’abandon !

La géographie et l’histoire de ce pays se retrouvent dans l’aridité de cette société où les structures et la mentalité coloniale persistent et signent. Là où le Brésil du tout possible est horizontal, le Pérou est vertical, rude et abrupt comme ses montagnes à l’austérité minérale, ou dans l’autoritarisme de ses hiérarchies sociales pour ne pas dire ethniques. L’horizontal péruvien est dans les déserts de sable où l’eau est rare et où des peons triment comme des esclaves. Pourtant, dans cette société à la fois andine, amazonienne et désertique qui compte avec des apports africains, japonais et chinois, un miracle unificateur se traduit aujourd’hui dans sa cuisine, une des plus inventives et créatives de toutes les Amériques. Elle incarne, à juste titre, l’orgueil de ce pays.

Se défaire des certitudes !

Les différences culturelles se révèlent dans des faits apparemment insignifiants de la vie quotidienne. Mis bout à bout, ils démontrent la prétention sans borne de notre modernité impérialiste centrée Occident et convaincu de l’universalité de sa rationalité. Pour comprendre, il faut accepter de se perdre sans savoir de quoi sera fait la vue globale si tant est que l'on y parvienne. Il faut accepter de n’expliquer qu'après coup en s’essayant auparavant à ne pas faire d’impairs. Le mieux est de se mettre en crise et de se défaire des certitudes faussement rassurantes, souvent à coup sûr déformantes. L’interculturel, aujourd’hui de mode, rime souvent avec un néo impérialisme culturel condescendant où des facilités technologiques renforcent des illusions de communication. Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, provoquait Socrate. C’est là un bon passeport pour réviser en permanence nos modernes, nos exclusives, et mettre en crise salutaire notre égocentrisme !

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