L'affaire Volkswagen : décryptage interculturel
Comment expliquer l'engrenage qui a généré une fraude d'une telle ampleur ?
Une fraude à grande échelle
Le 18 septembre, aux États-Unis, a éclaté le plus grand scandale de l’industrie automobile avec la révélation d’une tricherie à grande échelle du groupe Volkswagen, leader mondial des ventes de voitures. A l’aide d’un logiciel, il lui a été possible de contourner les normes de pollution sur les moteurs diesel de ses véhicules. Une enquête est en cours pour établir précisément les faits et la responsabilité des différents acteurs de cette catastrophe pour la marque allemande. Comme dans le cas d'un autre scandale, celui de la FIFA, c'est le push back américain qui est à l'origine de cette affaire. L'organe de régulation américain (EPA) avait déjà averti de la tricherie. Tenace, il est revenu à la charge et on peut certainement dire que cela a été vécu comme un challenge par les Américains.
De par son ampleur et ses répercussions globales, cette histoire est hors norme : comment des dirigeants allemands, connus pour respecter scrupuleusement les règles et éviter le risque, ont-ils pu décider et valider un tel projet de fraude en contournant sciemment des normes de contrôle ?
Afin d’apporter des éléments de réponse sur le plan interculturel, nous avons croisé les regards de nos consultants spécialisés sur les deux pays centraux dans cette histoire : l’Allemagne et les États-Unis.
Scandales et sanctions en Allemagne
Les scandales liés à des comportements non éthiques existent partout dans le monde, et la culture allemande, comme toutes les autres, n’échappe pas à la règle. De nombreux scandales ont déjà éclaté en Allemagne. En voici quelques-uns que nous avons sélectionnés parce qu’ils trouvent trait pour trait un écho dans notre actualité quotidienne :
- Fraude fiscale d’un ex-Président du Bayern de Munich (3 ans et demi de prison ferme).
- Chute et démission d’hommes politiques suite à des scandales financiers comme l’ex-Président Christian Wulff ou l’ancien chancelier Helmut Kohl. Les hommes politiques doivent avoir un comportement irréprochable et le moindre faux pas peut entrainer une sortie de scène. Démission encore de ministres pour des plagiats dans un doctorat (diplôme très respecté en Allemagne).
- Effondrement de l’ADAC, club automobile allemand, une puissante et influente institution de 19 millions d’adhérents, suite à l’attribution frauduleuse du prix de la meilleure voiture à un modèle de la marque Volkswagen…
Face à ces scandales, le jugement moral et public est à la fois sévère et rationnel. Les réactions "post-scandale" sont maitrisées et les sanctions tombent généralement rapidement, dures, et prennent la formes de condamnation et de démission… C’est ce qui s’est d’ailleurs passé dans le cas de « l’affaire VW », puisque au sommet de la pyramide les président, directeur général et directeur des ventes sont tous trois partis.
Et l'application de la règle ?
Ces réactions sont liées en partie au respect que les Allemands portent à la bonne application de la règle. Ce respect est « communément consenti » et inscrit dans le conscient et le subconscient collectifs. Et ce, surtout parce que les Allemands sont convaincus que les règles qu'une société (démocratique) se donne sont utiles et nécessaires au fonctionnement de cette même société. L’éthique protestante a fortement influencé un schéma de pensée en apparence binaire: "En Allemagne, c’est souvent blanc ou noir !", affirme une de nos expertes de la culture allemande. Cette zone floue, grise, que, dans les cultures latines, on envisage très bien et parfois que l'on crée à escient, laisse une incertitude planée entre ce qui est permis et ce qui est interdit. Dans une situation donnée, elle peut être sujet à interprétation, et le regard que l'on lui porte peut différer d'un point de vue à un autre. Pour un Français, par exemple, il n'est pas faux de dire que le feu orange offre un choix (pour ne pas dire une opportunité) : j'accélère ou je freine ? Cette zone grise, en Allemagne, n'est pas aussi envisageable : le feu orange signale le passage du vert au rouge... je freine.
Un individu ayant une culture du respect strict des règles ira vers une définition précise de ce qui est autorisé ou interdit, et donc sera pleinement conscient de la nature de son choix final (je triche, je ne triche pas).
L'engrenage ...
Tentant de comprendre ce qui a bien pu se passer dans les esprits des fraudeurs (ingénieurs et dirigeants) de cette affaire, il faut prendre en considération le fait que dans les entreprises allemandes, contrairement à la France, le processus de décision est bottom up. Nous insistons sur le fait que nous présentons ici la manière dont ça se passe généralement dans une entreprise allemande et ne présumons nullement de ce qui a pu réellement se passer chez VW. Dans ce processus bottom up, les experts émettent des recommandations qui sont validées par le manager. La décision finale est donc l'aboutissement d'un processus. C'est pour cela qu'elle n'est pas remise en cause par la suite. En Allemagne, tout se passe avant la décision finale. Une fois qu'elle est prise, on y va.
Dans un tel système, lorsque la "tricherie" est incorporée volontairement, qu'elle franchit l'étape de la validation, elle prend immédiatement de terribles proportions, à grande échelle.
L’image de la "fiabilité allemande" s’est construite en partie sur ce respect des processus, opérés de manière très objective et pragmatique. Et sur leur mise en exergue, notamment à travers le marketing automobile.
On estime qu’1/3 des Allemands a perdu confiance en la marque du constructeur. Pour eux, elle pourra être renouée lorsque les processus auront été corrigés. C’est ce qu’a pointé le Président démissionnaire lorsqu’il a appelé à ce que VW change de culture d’entreprise. Dans la culture allemande, il est certainement vrai de dire que la confiance peut rapidement être rebâtie après l’application de sanctions et de corrections rapidement effectuées et rapidement effectives.
La gestion de crise à l'allemande
Les réactions montrent aussi qu’il existe bel et bien une gestion de crise à l’allemande. Une fois que le scandale a éclaté, le monde entier a vu se mettre en marche une véritable "machine de guerre" de la communication de crise (déclarations dans la presse, démissions, communication sur les réseaux sociaux, etc…); la plupart des actions menées ont été très certainement anticipées.
Par exemple, à Wolfsburg, la ville où se situe le siège social de Volkswagen, les recrutements de la municipalité ont été stoppés le temps que l’affaire soit élucidée et les conséquences économiques du scandale évaluées. C'est le fait d'une anticipation et d'un calcul le plus affiné possible du risque. C'est tout un environnement qui se met au diapason de la crise.
Pour nos experts interculturels, il est difficile d’imaginer que des ingénieurs et des dirigeants allemands aient pu prendre un tel risque sans l’avoir à un moment ou un autre évalué, sans avoir imaginé la perte que cette tricherie pourrait provoquer un jour…
Un Allemand préfèrera partir en assumant ses responsabilités, plutôt que de nier.
En parallèle, les enquêtes ont immédiatement démarré avec un but bien précis : rechercher au plus vite la vérité. Les dirigeants de VW se sont montrés immédiatement coopératifs, ouverts et disponibles pour les enquêteurs américains. Cette totale transparence et disponibilité est sciemment voulue : rapidement corriger les erreurs pour tourner la page et regagner la confiance des consommateurs déçus. De ce point de vue, ils partagent avec les Américains l'importance de mettre l'idée d'accountability, dont on peut dire qu'elle mélange à la fois responsabilité et transparence, au centre de la vie professionnelle et publique.