Eclairage interculturel sur "l'affaire Ghosn"
A l’occasion de la parution du livre de Carlos Ghosn "Le temps de la vérité", il est intéressant de resituer cette affaire dans le contexte culturel japonais.
Le Japon et "l'affaire Carlos Ghosn"
A l’occasion de la parution du livre de Carlos Ghosn Le temps de la vérité, il est intéressant de resituer cette affaire dans le contexte culturel japonais.
En novembre 2018, l'ancien PDG de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, est arrêté puis emprisonné au Japon. Un rapide éclairage interculturel de cette "affaire Carlos Ghosn" et de ses suites rocambolesques nous permet de revenir aux fondamentaux de la culture japonaise : respect, humilité et confiance.
"L’affaire Carlos Ghosn" est-elle surprenante ?
Si vous faites perdre la face à un Japonais, vous devez prévoir ou assumer le risque qu’il se venge.
Les équipes de Nissan ont constitué un dossier qui a été servi à la justice au moment d’un pic de tension entre Nissan et Renault.
Quant à savoir comment Carlos Ghosn a fait perdre la face à ses interlocuteurs, homologues et collaborateurs japonais, la personnalité hors norme de ce dirigeant qui s’est peut-être laissé aller à la démesure apporte un début de réponse.
Quelle attitude adopter au Japon ?
Carlos Ghosn a très vite crié au complot. Est-ce la bonne attitude à adopter au Japon ?
Ce que l’on pourrait attendre d’un dirigeant japonais, c’est qu’il fasse amende honorable, qu’il présente ses excuses. Il aurait pu dire :
"S’il y a eu malversation ou des éléments ne correspondant pas à la politique fiscale japonaise, je laisse ouvert aux enquêteurs l’ensemble de mes papiers pour que la lumière soit faite. J’ai pensé agir dans le cadre de la loi et je présente mes plus profondes excuses pour les désagréments subis par Nissan et le Japon ».
Quels sont les paramètres à maîtriser au Japon ?
La confiance
En faisant l’inverse, tout le monde s’est braqué. Au Japon, on fonctionne sur la confiance. Que Ghosn ait pu extérioriser ses ressentiments a été très mal perçu. Pour le système judiciaire japonais, la confiance était rompue.
Le respect de la forme
Ce qui est important au Japon, c’est la forme. Si vous ne la respectez pas, il ne peut pas y avoir de relations sociales. Donc, lorsqu’il s’agit d’un prévenu, il est attendu qu’il fasse profil bas, car son nom est sali, et qu’il présente ses excuses en faisant preuve d’humilité, encore plus s’il est étranger.
Les Japonais ont la hantise des étrangers qui commettent des crimes et quittent leur territoire (il y a de lourds antécédents autour de la base américaine d’Okinawa notamment) donc ils les mettent en prison.
L'importance de la face
S’échapper comme Carlos Ghosn l’a fait, c’est faire perdre la face à la justice, à l’État, à ses avocats, à tout le monde et donc s’exposer à d’autres vengeances.
Que penser du système judiciaire japonais ?
Des critiques ont été adressées au système judiciaire et carcéral japonais qui serait oppressif et à sens unique.
Influence du code civil napoléonien
Le système judiciaire japonais est un système judiciaire comme un autre, dont les lois d’ailleurs s’inspirent pour partie du code civil napoléonien. Sa spécificité est qu’il est fondé sur l’aveu. Les gardes à vue peuvent donc être allongées – une des plus célèbres a duré 164 jours.
Quant aux entretiens avec le procureur, il n’y a pas d’avocat pour assister le prévenu, certes, mais tout est filmé depuis 2018.
Absence de surpopulation carcérale
Par ailleurs, en prison, on lave votre linge, vous êtes nourri trois fois par jour, la surpopulation carcérale n’existe pas. A l'inverse, en France, le centre pénitentiaire de Fresnes par exemple est surpeuplé, sale et décrépit.
En France, on met facilement les gens en prison. Pendant la période des "Gilets jaunes", 4000 gardes à vues ont conduit à 3000 condamnations en comparution immédiate et 1000 emprisonnements. Au Japon, si la police vous arrête, c'est parce qu’elle a un réel dossier. Quelles que soient les preuves, vous devez avouer.
Ne pas créer de troubles
Les chiffres sont éloquents : 99% des prévenus sont condamnés. Et pourtant, c’est un pays d’une grande permissivité : vous pouvez être un gangster ou un mafieux (et il y en a !) autant que vous le voulez, tant que vous ne créez pas de troubles.
"L'affaire Carlos Ghosn" illustre les erreurs à ne pas faire en tant que manager quand on se trouve confronté à ce type d'événement. L'opinion publique japonaise attend du puissant pris en faute de faire preuve d'humilité, d'assumer la responsabilité de ses actes ou des actes de ses collaborateurs et de présenter publiquement ses excuses pour les désordres créés. Ce sont les meilleurs moyens de sortir la tête haute d'une tempête médiatique.